Maison dite de Tristan l’Hermite ou hôtel de Pierre du Puy

Localisation :

Tours, 16 rue Briçonnet

Dates :

Fin XVe ou début XVIe siècles

État du batiment :

Conservé

Maison dite de Tristan l’Hermite ou hôtel de Pierre du Puy.
Crédits : Photo © Léa Dupuis

L’hôtel du 16 rue Briçonnet, arborant un appareil brique et pierre, coiffé de pignons à pas de moineaux, n’échappe pas aux regards par son style architectural particulier qui appelle la comparaison avec l’architecture du Nord de la France et de l’Europe. Il dépendait de la paroisse de Saint-Pierre-le-Puellier. Il est assis dans l’un des quartiers les plus anciens de la ville de Tours, assez densément peuplé [Daniel, 2005, p. 1].  

 

Le mythe et la corde

Les différents éléments du décor de cet hôtel ont donné lieu à une légende romanesque attribuant celui-ci à Tristan l’Hermite, un proche de Charles VII, originaire de Flandre, prévôt des maréchaux, puis nommé grand prévôt de l’hôtel du roi par Louis XI. La cordelière placée sous les fenêtres de la façade sur rue et, à moindre égard celle qui orne le départ du noyau de l’escalier, auraient été commandées par Tristan l’Hermite pour rappeler la corde destinée aux pendus exécutés par ses ordres [Suzanne, 1899, p. 79].

 

 

Louis XI et son entourage ont donné naissance à cette légende noire peu fondée. Des ouvrages présentent Tristan l’Hermite comme un bourreau cruel, le plus célèbre étant Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Aucun acte n’atteste l’identification de ce personnage à cet hôtel. Des théories, moins romanesques, sur l’attribution du commanditaire sont développées par plusieurs érudits du XIXe siècle. Henry de Lambron de Lignim rattache la cordelière à l’Ordre de la Cordelière fondé par François II, duc de Bretagne qui l’avait placée à droite et à gauche de son écu comme signe de dévotion pour saint François d’Assise. En souvenir de son père, Anne de Bretagne entoura ses armes, écartelées de France et de Bretagne, d’une cordelière ; probablement en 1491 lors de son mariage avec le roi de France, Charles VIII¹, ce qui placerait la construction de l’hôtel après 1491 [Le Roux De Lincy, 1850, p. 151]. Il décrit de plus, avant leur destruction les armoiries de la Croisée du rez-de-chaussée : une fasce dans le parti consacré aux armes du mari et les marguerites, mêlées à la cordelière, dont l’écusson est entouré appartiendrait à la veuve qui fit construire cet hôtel [Lambron De Lignim, 1855, p. 271]. Charles de Grandmaison précise quelques exemples de familles tourangelles qui portaient une fasce sur leurs armoiries à cette époque : les Péquineau, les Bérard, les Burdelot [Grandmaison, 1879, p. 167]. L’abbé Chevalier place quant à lui la construction de cette maison entre 1462 et 1473. Les marguerites désigneraient la commanditaire, Marguerite Le Picart, décédée en 1473, tandis que la cordelière indiquerait le veuvage provoqué par la perte de son mari, Jehan Burdelot, premier valet de chambre de Louis XI, en 1462. Néanmoins, l’abbé Chevalier conclut que l’état des sculptures des armes n’est pas suffisant pour affirmer avec certitude qu’elles appartiennent aux familles Le Picart et Burdelot [Grandmaison, 1868, p. 92-93]. Sans doute faut-il donner plus de crédit à l’attribution de cet hôtel à Pierre du Puy dont la devise est inscrite en gothique au-dessus des deux demi-croisées du premier étage de la galerie, « Priez Dieu Pur », et qui ne serait qu’un anagramme de son nom. Il est attesté que ce marchand et bourgeois de Tours a bien fait bâtir un hôtel dans ce quartier en 1495, mais l’emplacement exact n’est pas stipulé par les sources textuelles [Jeanson, 1973, p. 285 ; Grandmaison, 1879, p. 167]. Si le nom du commanditaire n’est donc pas avéré, l’opulence du décor et la haute tour d’escalier surmonté d’un belvédère, renvoyant au symbole de la demeure noble, indiquent en revanche son statut social élevé [Daniel, 2005, p. 18].   

 

Un gothique flamboyant flamant

L’hôtel prend place sur une parcelle étroite développée en profondeur. Ce plan, plutôt répandu pour les maisons, s’adapte aux contraintes topographiques du centre de la ville de Tours, mais celui de l’hôtel présente une longueur plus importante. Composé de trois corps de logis, l’hôtel s’articule autour d’une cour située au nord. Le premier corps de logis ouest à quatre niveaux donne sur la rue. La tour d’escalier demi-hors-œuvre à cinq niveaux est couronnée par un belvédère. Elle relie le corps de logis ouest à la galerie sud à cinq niveaux, dont le rez-de-chaussée à claire-voie donne sur la cour. Cette vis dessert également trois caves voûtées en berceau qui s’étendent sur toute la surface de la parcelle au sous-sol. À l’est, un troisième corps d’hôtel à cinq niveaux occupe le fond de la parcelle. L’hôtel se distingue par un opulent décor sculpté qui orne le pignon sur rue. Les encadrements des baies et les chaînages d’angle en pierre se détachent sur le fond rouge en brique. L’horizontalité de la façade est soulignée par des cordons moulurés disposés à hauteur des larmiers surmontant les baies. Les culots des retours de larmiers sont sculptés de feuillages, d’animaux fantastiques ou de figures humaines. Deux cordelières ornent le soubassement de la façade. L’une est sculptée en pierre. L’autre est composée de grandes pièces en terre cuite moulées, fréquentes en Italie du Nord mais encore très rares en France à la Renaissance [Grandmaison, 1879, p. 164]. La porte en anse de panier est surmontée d’un décor significatif du style gothique qui se répand à partir de la fin du XVe siècle : une Accolade amortie par un fleuron à feuilles de chou soutenant une niche, qui recevait autrefois la statue de la Vierge, et encadrée de colonnes torses portées par des culots sculptés d’oiseaux présentant un blason.

 

 

La croisée du rez-de-chaussée, accostée de deux demi-croisées, est ornée d’un petit écu à l’intersection de son Meneau et de sa Traverse. Aux premier et deuxième étages, l’ordonnance est la même. Les encadrements des fenêtres sont moulurés de baguettes à listel reposant sur des bases prismatiques. Autour des deux fenêtres, des trous de boulin servant de nichoirs percent le pignon. Enfin, le sommet du pignon à pas de moineaux est coiffé par une figure d’homme portant un pourpoint et des chausses collantes, les cheveux mi-longs et coiffé d’un chapeau selon la mode sous Charles VIII  

 

 

Le décor se limite essentiellement aux culots supportant les larmiers à retour des croisées ou demi-croisées et aux arcs en accolade au-dessus des portes. La porte de la tour d’escalier donnant dans la cour reçoit un décor similaire à celui de la porte principale, dépourvu de niche. Le même décor des encadrements des croisées et demi-croisées se retrouve sur les façades de la cour, à la différence des inscriptions « PRIE DIEU PUR »,  « ASSES AURONS » et « ET PEU VIVRONS » sur les cordons des demi-croisées de la galerie et de la croisée à accolades au premier étage du corps de logis est. La galerie est couverte de deux travées de voûte d’ogives naissant de culots. Les arcs doubleaux des arcades pénètrent le pilier central orné d’un pinacle.

 

 

Toutefois, les sculptures ont fait l’objet d’importants travaux de restauration au XXe siècle, si bien que l’on est en droit de s’interroger sur la part d’invention qui a présidé au projet. Les photographies anciennes qui témoignent du mauvais état des sculptures montrent que l’essentiel des restaurations est assez fidèle, notamment la restitution des meneaux et des traverses ou la remise en état de la cordelière et des décors à baguette des encadrements. En outre, les travaux ont supprimé les briques qui muraient la Demi-croisée de la façade principale. Les modifications du XVIIIe siècle de la façade du corps de logis furent supprimées : aux arcs surbaissés des baies furent substitués des linteaux et la porte à deux grands vantaux du rez-de-chaussée retrouva sa fonction originelle de fenêtre. La galerie et la tour d’escalier retrouvèrent leur fonction d’organes de distribution majeurs et l’on abandonna les portes supplémentaires qui avaient été ouvertes sur la cour.  

 

 

La porte de la façade sur rue ouvre sur un couloir voûté d’un berceau en plein cintre donnant accès à une pièce couverte d’un plafond à solives peintes et à un escalier en vis recevant une voûte de brique très complexe, dite à la Rihour en référence au palais Rihour de Lille qui en conserve une particulièrement grandiose. La vis est logée dans une tour pentagonale aux pans irréguliers, demi-hors-œuvre sur la cour. Aux premier et deuxième étages, la vis ouvre sur deux pièces en enfilade. À l’étage de comble, la cage de l’escalier devient plus étroite pour ne plus occuper que son espace sud-ouest. Si la disposition de l’hôtel ouvrant directement sur la rue semble peu conforme aux dispositions traditionnelles des grands hôtels assis entre cour et jardins, on note néanmoins que la situation de l’escalier, rejeté dans la cour, masque à la vue des passants la vie de l’hôtel. Tout porte à croire que la pièce du rez-de-chaussée tenait lieu de cuisine, le puits étant installé sous la galerie de la cour. Les chambres devaient prendre place à l’étage.  

 

Maison dite de Tristan l’Hermite ou hôtel de Pierre du Puy, plan du rez-de-chaussée, Région Centre-Val de Loire, Inventaire général du patrimoine
Crédits : © Région Centre-Val de Loire, Inventaire général.

 

Le style architectural de cet hôtel, en polychromie de brique et de pierre, avec des pignons à pas de moineaux, évoque les maisons flamando-rhénanes ainsi que les maisons du nord-est de la France.  Les pignons à pas de moineaux se rencontrent dès le XIIIe siècle. Un tel crénelage couronnait les pignons de l’hôtel de ville de Strasbourg construit en 1321 (actuellement détruit) [Werlé, Seiller, 2002, p. 20]. Toutefois, la diffusion de ce modèle est rare en Touraine, le palais de Pierre de la Broce à Châtillon-sur-Indre construit vers 1276 ou 1277 présente des pignons à pas de moineaux mais construits en pierre [Foucher, 2010, p. 60]. Il en va de même pour les logis royaux de Loches et le logis de Louis XI au château d’Amboise [Gaugain, 2011, vol. I, p. 471]. L’architecture en brique et pierre de l’hôtel suit très probablement la mode de l’architecture polychrome remise au goût du jour par Louis XI au Plessis-lès-Tours (1478-1480) [Salamagne, p. 175] et encore très appréciée jusque sous Louis XII qui fit ainsi construire son nouveau logis à Blois entre 1498 et 1503 [Lefèvre-Pontalis, 1922, p. 478]. Cet intérêt pourrait venir du séjour de cinq années du dauphin Louis à la cour de Bourgogne à partir de 1456 [Bouron, 2008, p. 15]. Si la référence à la Bourgogne n’est pas systématique pour l’architecture de brique, l’escalier en vis à la Rihour² est une citation forte car très rare. Ce type de voûte est construit à partir de 1460 et jusqu’en 1610 [Pérouse De Montclos, 1995, p. 626-627]. La construction de l’édifice pourrait ainsi être attribuée à des maîtres-maçons artésiens, picards ou flamands – dans une plus large mesure – venus en Touraine pour participer aux chantiers de Louis XI [Daniel, 2005, p. 20].  

Ainsi, l’Hôtel dit de Pierre du Puy ou Maison de Tristan L’Hermite se distingue par son pignon à pas de moineaux et son escalier à la Rihour, éléments septentrionaux rares en Touraine. Cet hôtel daterait de la fin du XVe siècle d’après le motif de la cordelière, le situant après 1491, et le décor gothique flamboyant limité aux encadrements des ouvertures ou encore la voûte d’ogives. Le changement de siècle ne coïncide avec aucun élément de rupture architecturale, mais l’absence d’ornements de style renaissant incite à le placer avant 1510.  

 


Notes de bas de page

¹Anne de Bretagne avait fait de la cordelière sa parure habituelle : ses livres, ses meubles, ses tapisseries , ses équipages, etc. en étaient couverts. Depuis elle, la cordelière est devenue l’insigne héraldique de certaines veuves. [Le Roux De Lincy, 1850, p. 151]

² Le palais Rihour à Lille : Lille est une possession du duc de Bourgogne de 1369 à 1477 [Lottin, 1989, p. 156, 243].


 

Bibliographie

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